«La Boule à neige, Immersion dans l’art contemporain»

Texte du catalogue de l’exposition «La Boule à neige, Immersion dans l’art contemporain»
Au Radar, espace d’art actuel, Bayeux du 22 juin au 22 septembre 2013
Par Coralie Pissis

«La question du simulacre traverse la pratique de Pauline Vachon. Attirée par les dioramas, maquettes et autres fac-similés, l’artiste explore les représentations factices du monde dans ses photographies. Dévoyés de leur usage, ces artifices visuels déploient leur dimension décorative. L’acte d’imitation révèle alors toute sa dualité car la copie faisant rarement illusion, le montage s’adresse au moins autant à l’esprit qu’à la vue. Ainsi en va-il du fond d’aquarium revisité dans l’oeuvre créée pour l’exposition.

Bien que ces vues sous-marines visent à leurrer les observateurs plus que les poissons, elles provoquent une confusion anormale entre le premier et l’arrière-plan. La faible profondeur, le filtre de l’eau et du verre finissent par tronquer la perspective au point de la rendre irréelle. La mise en abîme se renforce lorsque la boule à neige s’interpose.

Le mode opératoire de Pauline Vachon permet alors de saisir l’étendue des parallèles qui se tissent entre la sphère et l’aquarium. Au delà des analogies criantes, l’identification des deux objets repose sur le postulat décoratif et l’impression optique. La mimesis s’efface devant une recherche sur le flou, la transparence, les jeux d’échelles en tant que réflexion sur la perception du visible.

Pourtant les effets cumulés en arrivent ici à se contredire. Tandis que le globe en verre transforme l’image située à l’arrière, le pourtour reste parfaitement net. Une façon d’affirmer leur altérité en dépit des affinités. Plus que des simulations d’un réel en miniature, la boule et l’aquarium sont le support d’un regard qui compare, qui doute, qui spécule et qui interprète: un regard curieux.»

LE REGARD A FACETTES Carnet de recherche visuel, par Muriel Berthou Crestey

Semer dans la brume des lendemains (Pauline Vachon / Frédérique Metzger)
Par Muriel Berthou Crestey - 15 juillet 2012 -

Des résidences d’artistes sont régulièrement organisées à l’Usine Utopik – Relais Culturel régional de la Manche soutenu par l’association ADN (art et design en Normandie ) – dirigée par le plasticien et sculpteur Xavier Gonzalez. Convaincu de la nécessité d’amener la culture dans les espaces ruraux, il a investi l’ancienne serre horticole de Tessy-sur-Vire en 2007 avec l’intention de transformer cet espace en centre d’art contemporain, réunissant deux pôles a priori antagonistes (art contemporain et ruralité). Avec l’introduction de l’art dans la campagne, il a offert aux habitants l’accessibilité à un monde a priori réservé aux citadins. Cette action qui porte à la fois sur les arts plastiques et l’écriture contemporaine favorise le mixage des populations. Les artistes inspirés par les atmosphères vivifiantes des lieux sont invités à partager leur vision de cet environnement. Par ailleurs, cette initiative permet de comprendre les dispositifs de création et les processus engagés pour élaborer un projet, de la note d’intention jusqu’à la présentation de l’oeuvre.

Deux plasticiens se répartissent les 400 mètres carrés dévolus aux expositions. Les ateliers mis à leur disposition dans la serre restent ouverts au public pendant la réalisation. L’entrée est libre. Des phases de résidences d’un mois et demi instaurent un rythme continu. Actuellement, ce sont les oeuvres de Pauline Vachon et Frédérique Metzger – artistes résidentes en mai-juin 2012 – qui occupent ces espaces marginaux enveloppés d’une lumière zénithale. Les deux artistes ont multiplié les repérages dans les bocages, prés et jardins normands pour en extraire l’émotion, dans les sillages de l’histoire.Des lieux d’intention sont naturellement apparus dès les prémisses de leurs recherches plastiques. Les évènements, les rencontres qui s’y sont produites ont alors offert un autre visage à ces territoires.

Lors des commémorations du débarquement organisées le 3 juin 2012, Pauline Vachon a fait évoluer son projet de la guerre des haies en photographiant un parachutage, lors d’une reconstitution. Vecteur de hasard, le vent a orienté le vol parachutal vers d’autres points de chute, dans les arbres, au plus près de l’objectif de l’artiste. Dans l’atelier, certaines planches-contact adhèrent à l’intention initiale. Les images montrent des barrières végétales ayant simultanément fait office de boucliers, d’embuscades, de freins dans la progression des alliés. Forme de camouflage idéale pour les uns, haie d’obstacle où se brise l’énergie des autres. Les volumes apportés à la sculpture prolongent cette ambiguïté.

Lors de l’installation, Pauline Vachon a expérimenté cette forme de camouflage en s’introduisant dans la cavité pour guider au mieux le déplacement de l’oeuvre, en direction de l’espace d’exposition. En équilibre sur deux tréteaux qui font office de socle, elle évoque une fragilité en écho aux souvenirs des combats gravés dans la mémoire collective. La fonction de maintien s’est en partie perdue dans cette forme instable et précaire. Pauline Vachon veut découvrir le squelette des lieux, des objets pour nous le faire partager. La matière duveteuse du floc qui enrobe l’oeuvre, irradie d’un vert électrique, apportant une coloration ludique à ce projet. “Il y a une dimension poétique qui manipule l’évènement dans un autre registre et transpose la dimension dramatique du côté du burlesque” confie Pauline Vachon.

Un soin particulier à été apporté à l’accrochage des photos. Le spectateur ne doit être distrait par rien. Seule, l’image, accrochée à la cimaise tel un parachute, devient refuge. Le vent s’y engouffre, lui donnant l’apparence d’une méduse. La répartition des oeuvres dans l’espace correspond à la configuration du sujet dans l’image. Tautologie d’une photo accrochée aux murs représentant un parachute accroché latéralement dans un arbre. A terre, cent posters représentent les voilures échouées au sol ; les visiteurs ont la liberté de les emporter. Il appartient à chacun de s’approprier ou non une trace de cette histoire.

Le 5 juin 1944, un message est envoyé aux résistants d’une commune voisine de Tessy (Moyon) pour déclencher un sabotage des lignes de téléphone souterraines allemandes : “Le laboureur peine dans la brume du matin”. Allusion aux obstacles rencontrés par les envahisseurs, foulant une terre ameublie par les paysans. Le débarquement s’annonce imminent. Les oeuvres de Pauline Vachon cultivent la même ambiguité que ce message à double sens. Le vert mousseux de la sculpture se développe à l’échelle humaine. Il abrite des corps étrangers (bois, tréteaux). Les formes indéfinies évoquent le mouvement des toiles flottant dans les airs. Enveloppé par le bruissement des haies, le camouflage est exacerbé. Plus loin, les parachutes se posent. Ils conservent un aspect aérien et fusionnent avec l’environnement naturel dans lequel ils s’inscrivent. Une drop zone apparaît dans un cadrage au ras du sol où prolifèrent à présent des graminées. Des stigmates ont marqué ce paysage champêtre. Ce positionnement montre ce qui fut un périmètre de massacres en caméra subjective. Dans ces lieux apaisés, Pauline Vachon a perçu la présence des soldats aux aguets.